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L'acide oxalique: un traitement bio contre le varroa
Dans le milieu du 20ème siècle, Varroa destructor s'est implanté en Europe. L'abeille européenne n'ayant jamais rencontré ce parasite, aucune relation "hôte parasite" ne s'est mise en place. Une forte mortalité des cheptels s'en est donc suivie. Les apiculteurs ont alors utilisé le coumaphos et d'autres molécules de synthèse pour contrôler les populations de varroa.
En 10 ans, le varroa est devenu résistant à ces molécules. Cette histoire nous montre que seule la sélection d'abeilles résistantes au varroa est intéressante à long terme. Cependant pour limiter les pertes pendant la mise en place des programmes de sélection, des stratégies à court terme doivent être établies. Ma pratique me pousse à utiliser des techniques pratiquées en apiculture biologique.
Dans cet article nous chercherons à comprendre comment l'acide oxalique permet de réaliser une lutte à court terme contre le varroa. En premier lieu, nous étudierons son application et son efficacité. Ensuite, nous présenterons la tolérance des abeilles vis-à-vis de cette molécule. Nous finirons par montrer l'impact de l'acide oxalique sur les produits de la ruche.
Sommaire:
1. Présentation de l'acide oxalique
2 Applications et efficacité de l'acide oxalique contre le varroa
2.1 Méthode par dégouttement
2.2 Méthode par spray
2.3 Méthode par évaporation
3. Risques et stokage
3.1 Résidus dans le miel
3.2 Précautions à prendre
3.3 Stockage de l'acide oxalique
Conclusion et synthèse
Bibliographie
!! Attention, vous devez utiliser des produits qui ont une autorisation sur le marché. Il ne faut pas utiliser l'acide oxalique que l'on trouve dans le commerce. !!
1. Présentation de l'acide oxalique
L'acide oxalique (AO) est un acide à deux carbones. Le tableau suivant présente les constantes d'acidité (Ka) de différentes molécules. On observe que l'acide oxalique à un Ka 10 000 plus fort que l'acide acétique. Il est donc 10 000 plus acide que ce dernier. Il s'agit d'un acide fort. Les acides forts se dissocient totalement dans l'eau. Sa formule est C2H2O4. Lors qu'on le mélange à l'eau, la réaction suivant a lieu : C2H2O4 -> C2HO4- + H+. L'ajout de 0.05 mol/L de cet acide à de l'eau conduit à une concentration en H+ (acide) de 0.10mol/L car il possède deux fonctions acide.
Nom |
Réaction |
Ka |
Force de l'acide |
Acide oxalique |
H(CO2)2H(aq)<-->H+(aq)+H(CO2)2-(aq) |
5,3x10-2 |
Acide fort I I I I I I I I I I I I I V Acide faible |
Acide sulfureux |
H2SO3 (aq)<--> H+(aq) + HSO3-(aq) |
1,7x10-2 |
|
Acide phosphorique |
H3PO4 (aq) <--> H+(aq) + H2PO4- (aq) |
7,3x10-3 |
|
Acide fluorhydrique |
HF (aq) <--> H+(aq) + F-(aq) |
6,7x10-4 |
|
Acide nitreux |
HNO2 (aq) <--> H+(aq) + NO2-(aq) |
5,1x10-4 |
|
Acide benzoïque |
C6H5CO2H(aq)<--> H+(aq)+C6H5COO- |
6,8x10-5 |
|
Acide acétique |
CH3COOH(aq)<--> H+(aq) +CH3COO-(aq) |
1,8x10-5 |
|
Acide carbonique |
H2CO3 (aq) <--> H+(aq) + HCO3- (aq) |
4,4x10-7 |
|
Acide sulfhydrique |
H2S (aq) <--> H+(aq) + HS- (aq) |
1,0x10-7 |
|
Ion disulfite |
HSO3- (aq)<--> H+(aq) + SO32-(aq) |
6,2x10-8 |
|
Ion ammonium |
NH4+(aq) <--> H+(aq) + NH3 (aq) |
5,7x10-10 |
|
Ion carbonate acide |
HCO3- (aq) <--> H+(aq) + CO32- (aq) |
4,7x10-11 |
|
Ion disulfure |
HS- (aq) <--> H+(aq) + S2- (aq) |
1,3x10-13 |
|
Eau |
H2O <--> H+(aq) + OH-(aq) |
1,0x10-14 |
Le graphique ci-dessous nous permet de comprendre le pouvoir tampon de l'acide oxalique. Le graphique de gauche nous présente l'évolution du pH au fur et à mesure que l'on rajoute de la soude. A partir du graphique précédent, on réalise le graphique de droite. On peut voir sur ce dernier que l'acide oxalique possède un pouvoir tampon au faible pH. Il a par contre un très faible pouvoir tampon aux valeurs de pH médianes (acide fort).
Nom de plante |
Compostion en acide oxalique (mg/100g de matière sèche) |
Blette | 690 |
Rhubarbe | 500 – 2400 |
Épinards | 460 – 3200 |
Cacao | 4500 |
Thé | 3700 |
Betterave | 340 |
Oseille | 300 – 500 |
Persil | 190 |
Le tableau suivant nous montre que cet acide est présent chez de nombreuses plantes que nous consommons. Il donne son goût acidulé à l'oseille.
Le schéma ci-dessus nous montre que l'acide oxalique est un produit de la photosynthèse. Cependant son rôle physiologique chez les végétaux n'est pas bien compris. Il pourrait être important dans la régulation du calcium, de la germination des graines, de la détoxification, de la balance ionique et de la protection contre les insectes.
Dans le commerce, l'acide oxalique est vendu sous deux formes:
- anhydre: C2H2O4 (Masse volumique: 1,9 g·cm-3 (20 °C) Dissolution: 220 g·l-1 (eau, 25 °C)
- dihydraté: C2H2O4 ;2 H2O (Masse volumique: 1,653 g·cm-3 Dissolution: 100 g·l-1)
A 160°C cette molécule se décompose en acide formique, monoxyde, dioxyde de carbone et eau.
2. Applications et efficacité de l'acide oxalique contre le varroa
C'est en 1989 que Popov et al. découvrent que l'acide oxalique permet de réguler les populations de varroa. L'équipe de Nannetti A. cherchera à comprendre si l'effet de cet acide est dû à l'ion oxalate ou au pH de la solution. Ils ont donc réalisé différents traitements avec de l'AO (A, A1, OXA) et avec une solution potassium oxalate neutre (K ou K1) (voir figure ci-contre).
Le traitement oxalate neutre ne conduit qu'à une faible mortalité des varroas par rapport à l'Acide oxalique. C'est donc l'acidité de l'acide oxalique qui est responsable de la mort des varroas mais les mécanismes ne sont pas encore compris.
On peut aussi voir dans ce document que les molécules possédant plusieurs fonctions acide (acide PHOSphorique, OXAlique et SULfurique) sont plus efficaces. L'auteur explique que les molécules avec plusieurs fonctions acides sont plus efficaces car elles conduiraient à une acidification prolongée des colonies étant donné leur pouvoir tampon au pH bas.
Les travaux d'Aliano suggèrent que l'effet létal de l'AO s'exprime par contact. Sans l'avoir testé, il pense que l'exposition des varroas aux vapeurs d'AO conduit à une faible mortalité de ces derniers car cet acide est peu volatile à température ambiante (pression partielle < 0.001 mm Hg à 25°C, point de fusion : 101-102°C).
2.1 Méthode par dégouttement
Cette méthode est la plus applicable pour les apiculteurs ayant un grand nombre de ruches. L'apiculteur n'a besoin que d'une grosse seringue, de gants et de lunettes pour appliquer la substance. Le traitement d'une ruche ne dure qu'une minute. Il s'agit de la méthode de traitement standard car elle est efficace, tolérée et simple d'application. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Ce document est une synthèse des travaux faits sur le traitement par dégouttement. On peut voir que l'efficacité de l'application de l'acide oxalique est de plus de 95% à partir de 35g/L (3,5%). L'acide oxalique doit être appliqué via un sirop 50/50 pour limiter l'affaiblissement des colonies.
On peut observer que les essais de deux applications conduisent à un affaiblissement des colonies sans permettre une meilleure efficacité. Ce document nous indique que la dose efficace par colonies est comprise entre 30 et 50 mL avec une application de 5 mL par ruelle intercadre occupée.
Le dosage approximatif est donc de:
La comparaison des deux tableaux ci-dessus nous montre que les traitements ne sont efficaces qu'en absence de couvain (décembre). Généralement, il est recommandé de choisir un jour où la température est supérieure à 3°C.
Le document ci-contre nous montre l’efficacité et la diminution de la taille de la colonie pour des traitements à différentes températures.
On remarque que, contrairement aux idées reçues, ouvrir une colonie lorsqu'il fait froid pour la traiter n'a pas d'effet négatif sur l'hivernage (taille de la colonie). Ce document nous indique aussi des efficacités plus faibles du traitement pour des applications réalisées en été.
Dans ce tableau, on remarque que les solutions contenant du sucre 30 ou 60% sont plus efficaces que les solutions sans sucre. Le sirop le plus utilisé pour effectuer le traitement à l'acide oxalique est un sirop 50/50 tiède (à 30°C).
Le graphique ci-dessous nous présente en détail le bilan d'hivernage de colonies traitées à des concentrations différentes d'acide oxalique. On peut voir que les colonies traitées avec un sirop à 30g/L ont un hivernage meilleur par rapport aux autres colonies traitées avec des concentrations de sucre de 45g/L ou 60g/L.
En 2010, Jeremy a voulu comprendre l'effet de l'acide oxalique sur les reines. Pour cela il a appliqué différentes solutions sur l'abdomen des reines puis a regardé leur production de couvain, leur ponte ainsi que la viabilité du couvain.
On peut observer sur les documents ci-dessous que de fortes doses d'acide oxalique peuvent conduire à une baisse de la viabilité du couvain. Ces doses sont nettement supérieures aux doses appliquées lors d'un traitement à 30g/L d'acide oxalique. Le traitement à l'acide oxalique n'a donc pas d'effet sur les reines.
2.2 Méthode par spray
Cette méthode consiste à appliquer l'acide oxalique en aspergeant chaque face de cadre à l'aide d'un spray. Cette méthode est nettement plus longue que la méthode par dégouttement. Elle dure 4 à 5 minutes par ruche.
La synthèse ci-dessus nous indique que la dose recommandée pour l'Europe centrale est de 30g d'AO/L à raison de 3 à 4 mL par face soit 50 mL pour une petite colonie, 65mL pour une moyenne et 80mL pour une grande colonie. Il faut traiter en dehors de la présence de couvain (décembre) par une température supérieure à 5°C.
2.3 Méthode par évaporation
L'acide oxalique est évaporé avec différents types d’appareils (varrox...). L'application nécessite une batterie 12V et des planchers n'étant pas constitués de plastique. Cette méthode dure 4 minutes par ruche plus l'attente de 15 minutes avant d'ouvrir (sans compter que la batterie se décharge et que le temps de chauffe nécessaire augmente). Pour cette méthode, l'apiculteur doit porter un masque et des lunettes de protection.
Le traitement se fait en absence de couvain à l'automne. La température extérieure doit être comprise entre 2°C et 16°C. Le traitement est efficace avec 1g d'acide oxalique mais vous pouvez en mettre jusqu'à 2 g sans problème.
3. Risques et stockage
3.1 Résidus dans le miel
Tout traitement doit être réalisé à la condition que nous puissions garantir que cela n'impacte pas la qualité de nos produits.
Le document ci-dessus nous indique que le miel même sans traitement contient de petites quantités d'acide oxalique. Les différences entre les contrôles réalisés sont le résultat de variations dans les fleurs butinées.
L'étude de Nannetti 2002 montre une petite augmentation de la concentration d'acide oxalique lors de l'utilisation d'une solution d'acide oxalique à 3,1% et pas d'augmentation avec une solution à 6%. Les contrôles étant réalisés sur le miel d'hiver, cette augmentation est interprétée comme une entrée naturelle de nectar riche en AO par les abeilles. Par ailleurs, on peut voir que les traitements répétés sont à proscrire car ils conduisent à une augmentation de la concentration en AO dans le miel. Les propriétés hydrophiles de l'acide oxalique ne lui permettent pas de se concentrer dans la cire et la propolis.
L'acide oxalique a été rajouté en 2004 à l'annexe II du règlement 2377/90 du conseil de l'U.E par l'EMEA. L'annexe II regroupe tous les principes actifs qui n’exigent pas une valeur de LMR du fait du risque négligeable qu'’ils font peser sur le consommateur. Cependant à haute dose l'acide oxalique peut conduire à des calculs rénaux et des carences en certains minéraux.
3.2. Précautions à prendre
L'acide oxalique est un caustique puissant. Il est nocif (R21/22) en cas de contact (lésions, inhibition enzymatique...) et d'ingestion (perforation, acidose, insuffisance rénal, détresse respiratoire...). Il est donc nécessaire de porter des vêtements de protection, des gants et des lunettes. Le produit doit être étiqueté pour éviter tout risque d'ingestion. En cas de contact cutané, se laver à grande eau pendant 15 minutes puis contacter le centre anti poison. En cas de projection oculaire, se laver les yeux à grande eau pendant 15 minutes et contacter le centre anti poison. Ce produit ne doit jamais être jeté à l'égout, mais déposé dans un récipient étanche à la déchetterie.
3.3 Stockage de l'acide oxalique
Les cristaux d'acide oxalique doivent être conservés dans un bocal fermé et étanche. La solution d'acide oxalique prête à l'emploi contient du sucre. La présence d'acide oxalique va catalyser la réaction de formation de HMF.
Les différents tests réalisés ci-dessous mettent en évidence que les HMF n'augmentent pas dans des solutions stockées à 4°C. Il est donc recommandé de stocker ce produit au réfrigérateur (4°C) dans une bouteille portant une étiquette claire et hors de la portée des enfants. L'acide oxalique pur doit être stocké dans des locaux ventillés, frais, à l'abri de la lumière et à l'écart de toute source de chaleur ou d'ignition. Le récipient doit être correctement fermé et étiqueté.
Conclusion
Le traitement à l'acide oxalique peut être intéressant dans une lutte à court terme contre le varroa. Il s'agit d'un traitement efficace, toléré par les abeilles et qui préserve la qualité des produits de la ruche.
Le traitement par dégouttement est le traitement le plus intéressant. Il ne faut cependant pas oublier que le traitement des colonies, s'il n'est pas suivi d'une sélection des colonies résistantes au varroa (test hygiénique ou autre), est mauvais à moyen terme. Il ne faut pas que les colonies non résistantes aient une fitness (une reproduction) plus importante que les colonies résistantes sinon il y a un risque de perdre les caractères de résistance au varroa.
Synthèse
Pour réaliser un traitement à l'acide oxalique efficace, voici ce qui semble pertinent:
- traiter aux alentours de Noël ;
- la dose de 35g/L d'acide oxalique dans un sirop 50/50 tiède pour le dégouttement
- appliquer 5mL par ruelle dadant, soit entre 30 et 50mL par ruche ;
- stoker la solution au frigo le moins longtemps possible.
Cette article a pour but de vous faire comprendre ce qui se passe derrière le traitement. Les informations importées ont pour but de vous aider à choisir les médicaments avec AMM présent sur le marché. Vous ne devez pas faire de préparation vous même!
Pour aller plus loin consulter les articles:
Que faire aux abeilles tout au long de la saison?
Comment avoir une miellerie aux norme ?
Le thymol: un traitement Bio contre le varroa
L'acide formique: un traitement Bio contre le varroa
L'acide oxalique: un traitement Bio contre le varroa
Comment nourrir ses colonies en de fin saison ?
Recette du candi pour nourrir ses abeilles l'hiver ?
Construire un chasse abeilles pour la récolte du miel
Comment récupérer un essaim d'abeille ?
Bibliographie
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Aliano N. (2008) - An Investigation of Techniques for Using Oxalic Acid to Reduce Varroa Mite Population in Honey Bee Colonies and Package Bees
Bogdanov S. (2002) - Detremination of residues in honey after treatments with formic and oxalic acid under field conditions
Bogdanov S. (2001) - Comment et combien de temps peut-on conserver les solutions sucrées d'acide oxalique?
Charrière J.D. (2001) - Acide oxalique par dégouttement: essais 1999/2000 et recommandations d'utilisation pour l'Europe centrale
Franceschi V. (1980) - Calcium oxalate crystals in plants
Higes M. (1999) - Negative long-term effects on bee colonies treated with oxalic acid against Varroa jacobsoni Oud
Imdorf A. (2003) - Alternative strategy in central Europe for the control of Varroa destructor in honey bee colonies
Institut national de recherche et de sécurité (2005) - fiche toxicologique acide oxalique
Nanetti A. (1999) - Oxalic acid for mite control-results and review
Nanetti A. - Oxalic acid in varroa control. An overview on the last five years ofexperiments
Nicholas P. (2008) - Bee-to-bee contact drives oxalic acid distribution in honey bee colonies
Popov et al. (1989) - Application of oxalic acid in varroatosis, Congr. Apimondia
Rademacher E. (2005) - Oxalic acid for the control of varrosis in honey bee colonies, Apidologie
Sammataro D. (2008) - Comparing Oxalic Acid and Sucrocide Treatments for Varroa destructor Control Under Desert Conditions
Toomenaa K. (2010) - Using oxalic acid in water solution in control of Varroa mites and its influence on honey bees, Agronomy research
Annexe II du règlement 2377/90 du conseil de l'U.E par l'EMEA
Modification des annexes I, II et III du règlement (CEE) no2377/90
Note: L'utilisation d'acide oxalique pour traiter le varroa est interdit en conventionnelle car il n'existe pas d'AMM. Il est autorisé avec ordonnance vétérinaire en agriculture biologique.